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PLACE BELVÉDÈRE

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Il n’y rien de.
Plus beau au monde.
Que le soleil qui se lève.
Sur la Place Belvédère.
Comme la main levée.
Et qui menace d’un couteau.
Le nouveau-né encore bleu.
C’est un miracle.
Qui ne s’assume pas.
L’état de grâce pour les nuls.
La promesse d’un monde meilleur.
Un monde.
Où le monde n’est pas du monde.
Mais du sel de table.
Renversé sur le comptoir.
Sans porter malheur.
Un monde cousu.
De doigts jaunis jusqu’à l’os.
De steak haché tout-usage.
Et de conversations.
Qui se courent après la queue.
Un monde où les paniers d’épicerie.
Roulent à l’aube.
En toute liberté.
Dans le parking désert.
Brebis galeuses égarées.
À la petite roue grinçante.

On attend fidèlement.
L’ouverture du Pharmaprix.
En mille morceaux.
On est des bâtards.
Descendants d’Ève et du serpent.
À genoux devant les portes closes.
Du paradis perdu mais dix de retrouvés.
Jardin des délices et des bas prix.
Où l’on cueille nos antidépresseurs.
Comme des fraises juteuses.
Durant la saison des fraises.
Où le bonheur est laxatif.
Et la douleur quantifiable.
Sur une échelle de huit à cinq.
Heureusement la file d’attente.
De la caisse rapide n’avance pas.
Mais c’est un vieux réflexe primitif.
Que de s’aligner les uns.
Derrière les autres.
Joyeux peloton d’exécution.
Source de réconfort.
Et de maladies orphelines.
On est les maillons faibles.
D’une viande plus grande que nous.
Quelque chose comme.
Le grand rosbeef des petites douleurs.
Mal au cœur.
Mal aux jambes.
Mal au passé présent futur.
Tout en même temps.

Dans le mail central.
On s’assoit sur le dernier banc libre.
De l’univers.
Et on écoute les perruches.
Chanter leur perdition.
Derrière les barreaux d’une cage de l’animalerie.
Et on écoute des grandes personnes.
Jouer aux enfants battus et abandonnés.
Dans une cabine d’essayage du Rossy.
Et on écoute une femme en peine d’amour.
Réciter à voix haute les graffitis.
Gravés sur le mur des toilettes.
D’une voix mourante et sensuelle elle déclame :
Life is a pas fine.
Fuck les soupers aux chandelles.
Pour une bonne pipe appelle-moi surtout pas.
Assis sur le dernier banc libre.
De l’univers.
Dans le mail central.
De la Place Belvédère.
J’écoute ma doublure.
Assise à côté de moi.
Et qui se parle tout seul.
Une langue qu’elle est la dernière à parler.
Et qui disparaitra avec elle
Une langue dans laquelle.
Il existe une centaine de mots.
Pour dire la solitude.
Mais c’est juste une façon de parler.

Parce qu’on n’est jamais seuls.
On est juste plusieurs.
Chacun en punition dans sa tête.
À s’ennuyer de quelqu’un.
Qui n’est jamais là.
Quand on en a besoin.
C’est-à-dire tout le temps.
On n’est jamais seuls.
Quand on se réunit.
Tous les lundis matins.
Dans la rangée numéro trois du Dollarama.
En espérant l’arrivée.
Des décorations de Noël.
Ou d’une raison de vivre.
Et tous les samedis matins.
C’est mon plus beau souvenir d’enfance.
Mon père partait à pied.
Dans ses souliers éventrés.
Faire la commande au Super C.
Et il revenait.
Ce qui me semblait des années plus tard.
Les bras chargés de sacs d’épicerie en plastique.
Dont les poignées tendues.
Jusqu’au point de rupture.
Lui coupaient la circulation.
Dans les doigts.
Des sacs d’épicerie.
Lourds et pendouillant.
Comme des scrotums gorgés.
De millions de vies possibles.

Tant de vies.
Qui ne connaîtront jamais.
La beauté du silence.
Qui enrobe comme du crémage à gâteau.
Les couloirs de la Place Belvédère.
Tôt le matin juste avant l’ouverture.
Une vie ce n’est pas long.
Et ça se résume bien souvent.
À une boîte de kleenex vide.
Ce n’est pas long une vie.
Mais on a choisi de la passer.
À la Place Belvédère.
Et si on nous l’avait offert.
On aurait accouché.
Entre ses murs.
Comme des mouches.
Qui pondent directement.
Sur la marde de leur prince charmant.
Qu’à cela ne tienne.
On sera enterrés.
Sans larmes ni prière.
Sous les décombres.
De la Place Belvédère.
Quand on la démolira.
Pour construire.
Un monde qui se croit meilleur.
Mais qui se crisse le doigt dans l’œil.
Jusqu’au néant.

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